15 Mai 2020 21h12
Soutien Quizz.biz, Admin des groupes, Super Premium
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Le confinement...
Je suis en dernière année de licence à l'université en région parisienne et je me rappelle mon premier cours d'anglais du semestre, fin janvier juste après les partiels, assise au premier rang avec trois amis ; notre enseignante nous a donné à analyser plusieurs textes, comme un corpus, qui avaient pour thème commun le coronavirus, un virus encore méconnu qui semblait surtout sévir en Chine. Franchement, nous n'étions pas du tout inquiets pour nous-mêmes même si la situation en Chine nous paraissait bien sûr préoccupante, mais comme pour Ebola il y a quelques temps, jamais nous n'aurions pensé en arriver là.
L'université est un univers bien particulier car les étudiants viennent de tous les horizons. Avec ces trois amis, nous avions l'originalité d'habiter quatre départements différents, autant dire qu'il n'y a qu'à la fac que nous nous voyions, et notre principal souci était un éboulement à la gare de Sèvres Ville d'Avray qui a arrêté le passage de plusieurs grandes lignes de la SNCF. Qu'est-ce que ça représente maintenant... C'était notre sujet de conversation.
Les semaines ont passé, avec leur lot de contrôles, de pression, en troisième année de licence nous devions en plus préparer l'année suivante puisque c'est la dernière année de notre diplôme, nous allions à de nombreux salons, nombreuses portes ouvertes... C'était notre sujet de conversation.
Un jour, on a entendu qu'un homme en France semblait contaminé, il provenait de Chine, nous avons dit que c'était une mauvaise nouvelle, mais qu'est-ce que toi tu as écrit pour l'exercice 2 en chimie quantique, c'était notre sujet de conversation.
Les vacances de février sont arrivées, pour ma part je suis partie en Afrique, nous devions réviser énormément, et puis arrive la rentrée, plusieurs Français semblent contaminés, on reçoit un message de l'université. "Si vous venez d'une zone à risque, Italie, Chine entre autres, signalez-le à la scolarité et ne venez plus en cours durant 15 jours, vous serez excusé et vous rattraperez les contrôles plus tard..."
Qui est allé en Italie pendant les vacances ? Il a séjourné à Rome mais ce n'est pas en Lombardie donc est-ce qu'il pouvait revenir ? La première semaine passe, avec son lot de contrôles, mais l'angoisse monte car on voit que le virus tue, on le voit encore mieux quand c'est près de chez nous, cela devient doucement notre sujet de conversation.
On lit des informations sur Internet, on échange entre étudiants, "telle université réfléchit à fermer", wow, est-il possible que l'université ferme ? Voilà notre seul problème, car comment va-t-on faire pour nos TP, contrôles, comment ira-t-on aux journées portes ouvertes candidater aux écoles d'ingénieurs, aux masters, comment finir la licence correctement ? L'angoisse, la spéculation, voilà notre sujet de conversation...
Je me rappelle ce vendredi après-midi, en groupe de TP, où nous demandons à notre enseignante ce qu'il va se passer, "vous savez connaissant la directrice du département des sciences à l'université je pense que l'université va fermer", et à nous de sortir nos plus beaux yeux globuleux car la dernière fois que l'université a fermé c'était il y a deux ans car la neige empêchait les étudiants de venir en transport, pendant deux jours... L'université, ça peut pas fermer, voilà la conclusion de nos conversations...
Jour après jour, les enseignants nous expliquent qu'ils ont des doutes, je reviens d'un concert et je lis sur Internet que ça y est, il y a un cas dans les Yvelines, et puis ça y est, un cas dans la ville où j'étudie, et puis il y a cet homme qui tousse, est-ce qu'il est malade ? On rigole de ceux qui portent des masques dans le train, "c'est qu'une grippe les gars"... Il ne faut plus se taper dans la main, mais on peut toujours faire la bise, c'est qu'un petit rhume... "les statistiques montrent que plus de gens meurent de la grippe en France faut arrêter", et puis la bise, un sourire, et bonne soirée à tous...
Le jeudi 12 mars, le soir, je suis en répétition d'orchestre lorsqu'à 21h une clarinettiste interrompt la répétition, téléphone à la main, en s'exclamant "toutes les écoles et universités fermées à partir de lundi 15 mars !", après le discours de Macron. Je vois Caroline, prof de maths violoniste, sourire, "et voilà mes vacances tant méritées", et j'en ai les larmes aux yeux, youpi, deux ou trois semaines sans université, j'avais besoin de vacances ! ... Mais comment ça va se passer pour les contrôles, écoles/masters, cours...? Mon téléphone n'arrête pas de vibrer, ce sont les étudiants de ma promotion, qu'est-ce qui va se passer ? On n'a plus d'université ? Voilà notre sujet de conversation...
Vendredi 13 mars, fin du monde, j'ai 8h de TP à l'université. On interroge notre responsable de diplôme sur ce qui va se passer, elle ne sait pas, réunion des profs le soir même. Ce jour-là, une queue incroyable à la bibliothèque universitaire pour emprunter à durée indéterminée plein de livres pour étudier... J'ai revu beaucoup de gens de toutes les licences et masters que je n'avais pas vu depuis longtemps. Une ambiance de fin du monde, et c'est avec une véritable tristesse qu'on se quitte à la fermeture du campus, sans savoir si on reviendra un jour à la fac mais on essaie de se rassurer car "2 semaines de confinement puis c'est les vacances de la zone C donc on reviendra à la rentrée t'inquiète !", voilà notre sujet de conversation...
Samedi 14 mars, je fête un anniversaire, je fais un escape game, je passe la soirée avec ma meilleure amie, ambiance de fin du monde aussi quand au bord d'un lac on évoque tous nos souvenirs d'enfance main dans la main, et je retrouve par hasard mon meilleur ami dans le train en rentrant, dimanche 15 mars nous faisons des plans sur la comète car "2 semaines sans cours on va pouvoir sortir et se voir c'est génial !", voilà notre sujet de conversation...
Le lundi, ma mère inquiète m'empêche de sortir, "tu as des soucis respiratoires de naissance, c'est dangereux" mais "maman c'est qu'une grippe", mais pour la rassurer je reste à la maison, sans savoir que ce sera pour des semaines... Le lendemain, c'est annoncé, nous sommes confinés. Un ami dans la police dit "45 jours" mais c'est impossible ! Macron dit 15 jours, ça va aller, jusqu'aux vacances puis c'est bon. Et puis être confinés c'est juste rester à la maison, non ?
Et bien, croyez-moi que non. Au-delà du fait que nous avons réalisé que trois ans de licence avec des étudiants de toute la France se terminaient sans que nous ayons pu nous dire au revoir si ce n'est adieu, petit à petit, nos enseignants ont mis en place des cours, contrôles, tout avec encore plus de pression que d'habitude car tout est plus difficile à distance mais cela n'a pas été le pire, loin de là.
Au début, je me suis dit qu'étant casanière, rester sans université n'était pas compliqué. Quand j'ai compris que le conservatoire où je passais plus de 10h par semaine était fermé, coup dur, mais je n'aurais jamais pensé tomber si bas alors que la consigne était simple : rester juste chez soi.
Nous n'avions plus de sujet de conversation.
Lorsque vous saluez votre voisine promenant le chien, vous dites-vous parfois qu'elle a peut-être de graves problèmes à la maison ? Les femmes et enfants battus, toutes ces maladies mentales dont on entend vaguement parler, elles sont plus près que vous ne le croyez. Car ça n'arrive pas qu'aux autres, on ne réalise pas tant que ça ne nous touche pas... Vous les avez vues à la télévision, ces statistiques qui montrent que le taux de suicide a augmenté, le taux de femmes battues appelant à l'aide a augmenté, tous ces taux effrayants qui nous rappellent que le foyer n'est pas toujours un endroit où l'on se sent bien, où l'on est en sécurité. J'étais confinée avec ma famille. Entre le 15 mars et le 11 mai, nous avons arrêté de vivre. Pour survivre.
Sur Quizzbiz, affluence incroyable de créations en précorrection, j'ai été décrite de "SP inactive" entre autres, je le sais, pourtant j'ai été aussi active que mon mental le permettait, mais si vous saviez comme c'est difficile d'être enfermé à la maison dans certaines conditions... Parfois, j'avais comme l'impression d'être prisonnière d'une cage de verre, de mon propre corps, qui semblait se rétracter sur moi au fur et à mesure en m'empêchant de respirer. Cela fait si mal parfois d'être seul avec soi-même, sans soutien extérieur, seul support à la maison pour des situations difficiles que vous n'oseriez pas imaginer dans vos pires cauchemars. Dans le noir, toutes les nuits, j'essayais de voir la lumière au bout du tunnel mais je ne voyais que l'annonce d'un durcissement du confinement. Et puis la classification de ma région en zone rouge d'office pour qu'elle y demeure encore longtemps... Ces deux mois ont été extrêmement difficiles de mon côté, même s'ils m'ont permis de me rapprocher de certains amis, de faire un vrai tri dans tous ceux que je côtoyais, de grandir par rapport à de nombreuses situations, de prendre du recul face aux ennuis du quotidien, de me découvrir une force que je n'aurais jamais pensé avoir durant cette année qui a été très difficile me concernant et dont la difficulté a dépassé le stade de l'imaginable durant ce confinement forcé, et je voulais profiter de ce message pour remercier Jimmy qui m'a été d'une précieuse aide et a toujours été à mon écoute ces derniers mois
Maintenant, ma famille et moi, comme tant d'autres familles dans lesquelles il se passe certaines choses difficiles, vivons dans l'espoir de voir venir un jour meilleur.
Pendant ces deux mois de confinement, l'espoir il n'y en a pas eu une seule seconde, je me revois appeler tous les jours au téléphone une amie en étant au fond du trou, le désespoir a élu domicile dans mon foyer tout entier. Aujourd'hui, je n'ai perdu personne de proche du coronavirus, c'est une chance qui n'a pas été donnée à tout le monde et je le mesure. Mais j'ai failli me perdre moi-même.
Depuis le 11 mai, le déconfinement ayant eu plus ou moins lieu, j'entrevois peut-être la lumière au bout du tunnel... Mais on verra, seul l'avenir nous le dira. Pendant ce confinement, je me suis sérieusement remise au sport et à la musculation, j'ai étudié mais surtout je me suis découverte ainsi que ceux qui m'entourent et pour l'après-confinement, je compte changer bon nombre de choses dans mon comportement à commencer par une envie d'aller à l'essentiel sans m'encombrer, par souci de bienséance, de choses inutiles.
Et maintenant, nous avons de vrais sujets de conversation
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