Avant lui, nous étions tous un peu emplumés, empêtrés et empâtés d'encres bleues, violettes ou noires, toutes aussi tenaces qu'indélébiles... et l'on voyait l'élève malhabile entaché au bout de ses doigts, révélateurs d'empreintes anthropométriques accusatrices.
Longtemps les écoliers (les derniers furent les "boomers"*) connurent l'implacable autorité du Sergent-Major : cette plume régna de son casque à pointe d'acier sur les premiers pâtés et pattes de mioches de nos lignes d'écriture. Véritable pensum pour certains - voire plus encore ! - ce terrible engin à scribouiller nous condamnait parfois jusqu'à devoir exhiber, épinglées dans le dos à la récréation, nos feuilles maculées, zébrées, trouées. Suprême honte...
La bataille fut donc âpre et non moins digne de celles qui suivirent pour déformer l'orthographe. Il est déjà peu simple d'écrire correctement le français, mais avec une plume, cela devenait un art quasi inaccessible, que dis-je, un Graal authentique...
Puis, le stylo à bille eut enfin droit de cité dans les écoles publiques : entrant en CM1, Saint-Bic volait à pointe nommée et à mon secours, pour toutes ces années encore où j'aurais à noircir (ou bleuir) des milliers de pages... Force fut quand même de constater que nos calligraphies ne s'embellirent point pour autant, mais le bien était fait !
En ce 10 juin, une journée lui est dédiée et ce n’est que justice.
"Ainsi vint bille en tête et l’agrafe féroce,
Le style haut et sûr, fonçant, pointe véloce,
Celui qui d’un seul trait dépluma le Sergent,
Venant à la rescousse, ce Bayard des enfants.
Il su vaincre tortures et pleurs d’écoliers
Tenez-vous le pour dit, Messieurs les échotiers :
Tout revêtu d’azur ou d’une cotte de brique,
Il devint ornement, fi des légions d'honneur !
Des poches des blouses grises des chers instituteurs
Parure inestimable, parut le stylo Bic !"
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* Né(e)s entre 1945 et 1965.