Ce qu’on appelle "49.3" est l’article 49 alinéa 3 de la Constitution de la Ve République française (du 4 octobre 1958). Il dispose que "le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent". Cet alinéa est très décrié par les oppositions politiques et l’opinion publique car il a une image anti-démocratique. Pourtant, il est utilisé par les gouvernements successifs. Il faut donc connaître son histoire, ses conditions de mise en œuvre et ses conséquences.
Le 49.3 est prévu dès la création de la Constitution de 1958, par Charles de Gaulle et Michel Debré. En effet, dans un régime parlementaire, le pouvoir exécutif peut dissoudre le pouvoir législatif et ce dernier peut renverser le premier.
Ces deux fondateurs de la Ve République avaient la volonté de rendre le pouvoir exécutif fort, plus que le pouvoir législatif. Il fallait donc un moyen pour le gouvernement de contourner l’Assemblée nationale, tout en permettant une contre-attaque des députés. Mais les constituants de 1958 avaient prévu des conditions sévères à la mise en place de cette riposte.
La création de cet alinéa s’explique aussi par le fait que la IVe République (1946 - 1958) a connu une instabilité gouvernementale extrême. En effet, le pouvoir législatif était bien supérieur au pouvoir exécutif, ce qui a conduit à l’existence de 24 gouvernements en seulement 12 ans. De ce fait, De Gaulle et Debré voulaient éviter de nouvelles instabilités rendant la France ingouvernable et entraînant des insécurités.
Néanmoins, l’article 49 alinéa 3 de la Constitution ne peut pas être utilisé tout le temps et pour tout. En effet, le principe est quand même que les députés, qui sont élus par les citoyens français (contrairement au Premier ministre et aux ministres), puissent débattre et voter les lois. Donc le Premier ministre peut déclarer à l’Assemblée nationale "sur le fondement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, j’engage la responsabilité de mon gouvernement" uniquement pour faire adopter un projet de loi de finances (PLF) ou un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Ce premier texte fixe le budget de l’État pour l’année à venir, tandis que le second encadre les dépenses sociales et de santé. Ces deux projets de lois sont votés une fois par an (en décembre) mais peuvent être révisés en cours d’année.
Depuis une réforme de 2008, l’utilisation du 49.3 pour les autres projets de loi a été réduite à une par session parlementaire. La durée de principe d’une session est de 9 mois.
Cet article ne peut être utilisé que devant l’Assemblée nationale (et pas au Sénat) et uniquement par le Premier ministre (avec l’accord préalable du conseil des ministres). Cela arrive donc lorsque le gouvernement pense que le texte de loi ne va pas être adopté par un vote des députés et qu’il considère cette loi comme importante. En effet, l’utilisation de cet article met fin aux débats parlementaires sur le texte et empêchent les députés de voter pour son adoption puisque le 49.3 permet de le faire adopter (même si la majorité des députés aurait voté contre).
Toutefois, l’Assemblée a la possibilité de riposter puisque l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution permet aux députés de déposer et de voter une motion de censure. Cependant, les conditions sont strictes. En effet, la motion doit être déposée dans les 24 heures suivant le 49.3 et être signée par 1/10e des députés (soit 58), puis votée dans les 48 heures suivantes. En général, ce ne sont pas ces conditions qui posent un problème. Celle qui est plus difficile à réunir impose que la majorité absolue des députés doit voter la motion pour qu’elle soit adoptée (soit 289). Cela est en pratique très rare puisque, sous la Ve République, la règle est que le gouvernement est issu de la majorité siégeant à l’Assemblée. Mais si les conditions sont réunies et que la motion de censure est votée, alors le texte qui a fait l’objet du 49.3 est rejeté et le gouvernement est renversé avec effet immédiat (le Premier ministre remet sa démission au président), c’est-à-dire qu’il devient un "gouvernement démissionnaire" (il gère les affaires courantes jusqu’à la nomination d’un nouveau Premier ministre). Et le président de la République ne peut évidemment pas s’y opposer. En revanche, si la motion ne passe pas, le gouvernement reste en place et le texte est adopté.
En général, ce 49.3 est utilisé lors de situations de crises politiques ou pour faire passer un gros texte impopulaire. Actuellement, cet article a été utilisé 113 fois depuis 1958. Les deux Premiers ministres qui y ont eu le plus souvent recours sont Michel Rocard, qui l’a utilisé 28 fois (entre 1988 et 1991), et Élisabeth Borne (entre 2022 et 2024), qui en a usé 23 fois. Ces deux Premiers ministres ont connu des motions de censure qui ont été déposées mais aucune n’a récolté les voix suffisantes pour être adoptée.
Pendant longtemps (jusqu'à aujourd'hui,), dans toute l’histoire de la Ve République, il n’y avait eu qu’une seule motion de censure (sur environ 150 de déposées) qui avait été votée à la majorité absolue des députés. Sauf qu’elle n’émanait même pas de l’utilisation du 49.3, c’était une motion de censure dite "spontanée" (article 49 alinéa 2 de la Constitution). En effet, le 5 octobre 1962, la motion de censure contre le gouvernement ayant Georges Pompidou à sa tête a été votée par 280 députés sur 480. La majorité absolue était donc atteinte. En faisant cela, les députés voulaient manifester leur mécontentement envers le président De Gaulle pour les avoir contournés sur un référendum. Mais une nouvelle élection législative a eu lieu quelques semaines après et a plébiscité De Gaulle, qui a donc renommé Pompidou comme Premier ministre.
Le 2 décembre 2024, le Premier ministre Michel Barnier (depuis le 5 septembre 2024) a utilisé le 49.3 pour faire adopter le PLFSS de 2025. Suite aux élections législatives de juin - juillet 2024, il n’y a aucune majorité absolue à l’Assemblée nationale (ni même une vraie majorité relative). Ceci fait que le gouvernement n’est pas soutenu par un nombre important de députés et il est donc difficile pour lui d’agir. C’est la première fois sous la Ve République que la France est dans une telle situation. Cela explique qu’à la suite du 49.3 de Barnier, deux motions de censure ont été déposées. L’une par le NFP et l’autre par le RN. Donc même s’ils ne s’entendent pas du tout politiquement, ces deux groupes sont d’accord pour changer de gouvernement.
Le 4 décembre 2024, la première motion de censure a été discutée puis votée à l'Assemblée nationale. Exceptionnellement, il fallait 288 voix "pour" afin de permettre l'adoption de cette motion. Au final, 331 députés ont voté "pour". La majorité absolue est donc largement atteinte.
Il s'agit seulement de la deuxième motion de censure depuis 1958 et la première à émaner de l'utilisation du 49.3. Elle va avoir des conséquences politiques et économiques majeures mais, d'abord, elle entraîne le rejet du PLFSS de 2025 et oblige Michel Barnier à remettre la démission de son gouvernement auprès d'Emmanuel Macron. Cela a été fait le jeudi 5 décembre 2024.
Pour savoir si vous avez bien tout compris au fonctionnement du 49.3, je vous invite à faire le quiz de 10 questions ci-dessous. Il est sous la forme de petits cas pratiques.
Bon quiz !