« ...parce qu’aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable » (Assemblée nationale, 17 septembre 1981)
L'homme est mortel et doit le rester : lui infliger le trépas en guise et forme de justice n'est jamais avouable. Tel était, en raccourci (et sans arrière-pensée), le credo d'un juriste qui a su porter au plus haut cette difficile plaidoirie.
Il est de notre lot quotidien d'entendre flageller, critiquer ou de se plaindre à qui mieux-mieux de nos hommes politiques, à tort ou à raison, pour leurs idées ou parce que, justement, ils en manquent.
Cette besogne - ou ce droit citoyen, si l'on préfère - devrait assurément nous être épargnée dans son cas : Robert Badinter n'était pas un homme politique. Mais tout chez lui l'était, politique, car c'est à cette dernière que nombre de ces combats d'avocat ont immanquablement fait appel. Et parfois l'ont emporté.
Nos mémoires sont sélectives, il le faut bien : si l'année 1981 en France rappelle son lot de souvenirs, d'aucuns l'ont marquée de celui de l'abolition de la peine capitale. Notre pays était alors - parmi les ''démocraties avancées'' - quasiment le dernier à le faire, même après l'Espagne franquiste*.
Le juriste s'était donc fait Garde des Sceaux afin de muer cette idée d'abolition pourtant minoritaire en une loi intangible : entre autres, parce qu'elle avait depuis longtemps été soutenue par des noms qu'il respectait, dont Condorcet et Jaurès.
Parce qu'il se souvenait aussi de ce jour de 1972 où il n'avait pu soustraire à la guillotine quelqu'un qui n'avait jamais tué**.
Parce que ce combat pour une abolition universelle est loin d'être terminé, parce que plusieurs dizaines de milliers de gens croupissent encore - parfois des décennies - dans des "couloirs de la mort" : il est de ces vérités que l'on ne peut ni doit, d'un ton badin, taire***...
___________
* ...où elle le fut, en droit commun, en 1978.
** Procès Buffet et Bontems de la cour d'assises de l'Aube, 26-29 juin 1972.
*** Un certain humoriste n'avait-il pas osé le calembour de "l'avocat le plus bas d'Inter", dans l'une de ses plaidoiries sur la radio nationale ? Mais c'était Pierre Desproges...